Adèle Aribaud
Volières d'aujourd'hui
« Des créations iconiques ». Voilà sur quoi la jeune génération, désormais détentrice de l’immense héritage des bijoux-oiseaux, souffle aujourd’hui un vent nouveau. Comme d’autres grands noms avant elle, elle se fait l’écho de l’engouement scientifique et stylistique qui entoure les volatiles depuis deux cents ans, des paons aux colibris, qu’on imite formellement ou qu’on stylise avec fantaisie.
Dans la grande famille des bijoux-oiseaux, certaines pièces ont fait date. Si bien que dans le flot des créations modernes, on détecte çà et là quelques clins d’œil à ces chefs d’œuvre du passé. C’est le cas pour la broche flamant multicolore de Cartier, réalisée pour la très élégante duchesse de Windsor. Achetée par son mari en 1940, le bijou est le volatile le plus couru de tout le bestiaire de la Maison. Elle y a fait date et a été rééditée ensuite par la Maison elle-même, mais pas seulement. Michelle Della Valle a réalisé un flamant, qui n’a a priori rien d’autre de semblable à la broche Cartier que son espèce animale et sa position debout. Sa patte relevée pourtant, témoigne du contraire : elle est LE détail qui signe une référence absolue au bijou des Windsor. Le flamant de Della Valle n’est pour autant pas dénué de modernité, le pavé de son plumage est typique des créations MDV, comme les mariages originaux de matériaux divers et l’attitude réaliste -ici la surprise et le dérangement- de ses animaux. Des pattes en carbone, un bec juste ouvert (sous le coup de la surprise sûrement !) et une magnifique perle keshi pour l’aile ont achevé d’authentifier le flamant MDV comme une création importante. Ce que confirme son prix de vente, plus de 15 000€ (Sotheby’s, Hong-Kong, 2014), soit plus du double de son estimation.
C’est par un angle plus actuel que l’australien Tomasz Donocik s’est approprié le thème de l’oiseau. Sensible au péril de la biodiversité, il a réalisé la bague The Courtship of the hornbill. Elle met en scène la spectaculaire parade nuptiale des calaos, raréfiée par la disparition progressive de l’espèce causée notamment par le braconnage du « casque » du calao, la partie supérieure de son bec, proéminente. Pour couvrir les casques du couple de calaos, Tomas Donocik a utilisé des fossiles de défenses de mammouth de Sibérie, symbole ultime de la perte des ressources de la nature. La bague a été conçue en deux coloris, tous deux relativement fidèles à la réalité chromatique de l’animal. À dominante foncée et yeux rubis, les calaos de T.D se rapprochent des colibris de Katey Brunini, des volatiles noirs aux yeux rubis également.
Il est vrai qu’effectivement, la physionomie des volatiles ouvre un champ d’interprétation immensément vaste. Couleurs, attitudes, positions et détails significatifs siéent aux joailliers. Chez la portugaise Carla Amorim, la colombe est pendue au cou les ailes ouvertes. Adepte d’un plus grand naturalisme, Sylvie Corbellin pose les oiseaux sur des branches en pendant d’oreilles. Chez Sevan Biçakçi enfin, le lobe de l’oreille s’immisce entre les deux ailes ouvertes d’un oiseau en plein vol.
Avec l’aspiration détailliste qu’on lui connaît, Sevan Biçakçi, synthétise ce qu’il puise chez les volatiles. À la façon de Cartier qui saupoudre les tâches de sa panthère sur ses créations depuis 1914 et Bulgari qui plaque les écailles de ses serpents sur tous ses bijoux, Biçakçi a emprunté au paon ses ocelles. Loué pour son allure royalesque et sa roue de parade, le paon est évidemment à l’origine de mille et un bijoux. Pour Biçakçi, c’est une bague dôme (Peacock, 2002), qui fait appel à la technique de l’intaille perfectionnée et personnalisée par lui-même. Il creuse, sculpte puis peint l’intérieur des pierres dans leur forme concave de façon à ce que sur l’envers, le chaton bombé laisse apparaître un motif en transparence. Ici, le corps bleuté d’un paon et la naissance de ses plumes. Les plumes semblent se prolonger tout autour du doigt, la monture étant tout enveloppée d’œillets turquoise et marine.
Chez Lorenz Bäumer, c’est avec des oiseaux aux formes on ne peut plus géométriques que l’on fait connaissance. Baumer est considéré comme un fin percepteur des grands principes du design contemporain. C’est donc sans surprise lui qui propose la volière la plus graphique. Onze oiseaux cubiques et abstraits en plein vol protègent une rubellite éclatante de 66,40 carats. Chaque oiseau est composé de quatre formes géométriques, le tout formant une broche colorée et aérienne semblable par son style à d’autres de ses travaux. Notons également qu’en plus de maîtriser le dessin de ses lignes, Baumer maitrise les associations de couleurs et crée toujours des dégradés et harmonies très heureuses.
Quelques volatiles enfin, donnent à voir des éléments très naturalistes. Cela peut être la moelleusité de leur plumage, comme la grande outarde -qui peut peser jusqu’à 15 kilos- de la madrilène Luz Camino, dont le plumage a l’air encore plus épais que celui de l’animal réel. On croise également à côté de certains oiseaux quelques détails parsemés comme les œufs, les branches et autres nids dont Anna Hu s’est fait une spécialité.
Pour aller plus loin :
La "Procreation ring" de Lydia Courteille
Blanc, E. pour Vogue. (16 mai 2019). Pourquoi faut-il absolument aller voir "Paradis d'oiseaux", l'expo bijou qui fait rêver ?
Consulté à l'adresse : https://www.vogue.fr/joaillerie/article/pourquoi-faut-il-absolument-aller-voir-paradis-doiseaux-lexpo-bijou-qui-fait-rever-van-cleef-arpels
Jeammet, C. pour France TV Info. (17 mai 2019). Ces broches précieuses qui capturent la splendeur des oiseaux.
Consulté à l'adresse : https://www.francetvinfo.fr/culture/mode/metiers-art/en-images-ces-broches-precieuses-qui-capturent-la-splendeur-des-oiseaux_3445815.html
Merle, S. pour The French Jewelry Post. (22 mai 2019). « Paradis d’Oiseaux » à l’École des Arts Joailliers. Consulté à l'adresse :
https://www.thefrenchjewelrypost.com/mon-agenda/paradis-oiseaux-ecole-arts-joailliers/
Paradis d'oiseaux. Exposition, Ecole des Arts Joailliers Van Cleef & Arpels, du 15 mai au 13 juillet 2019.
Rochefoucauld, J. W. L., & Carrières, S. (2017). Les plus beaux bijoux de femmes joaillières. Lausanne, Suisse, Edition La Bibliothèque des Arts.
Rochefoucauld, J. W. L., & Carrières, S. (2013). Haute joaillerie, bijoux exceptionnels du XXIe siècle. Suffolk, United-Kingdom, Editions La Bibliothèque des Arts.