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  • Photo du rédacteurAdèle Aribaud

Histoires d'hiver


Le mauvais temps est un décor à haut potentiel, ceux qui racontent des histoires le savent. Une tragédie sous le soleil, bien sûr que ça fonctionne, mais ça empoigne sans passion. C’est pour ça que les neiges et autres pluies torrentielles teintent souvent les récits d'amour ou les tableaux d'aventure, pour y ajouter d'un petit plus, celui qui guidera les chagrins vers la désespérance profonde. Mais pour les joailliers le recours à l’artifice est impossible ; ils sont des conteurs d'histoires dépourvus de mots. Alors comment raconter l'hiver, l'apathie qui nous gagne, la mélancolie des basses lumières ? Ou alors au contraire, la fraicheur, la danse de la neige, le réveil de la nature ? Il aurait fallu inventer un langage universel mais sans cadre, sans personnages et sans paroles.


Pari tenu... Parce qu'ils l'ont fait ! En transposant les codes de la narration à un domaine artistique tout aussi complet que la littérature. Situation initiale, élément perturbateur, péripéties et même dénouement, tout y est, en substance ou en suggestion. Démonstration :


Le calme ou la tempête ?

Clip Bambou sous la neige, 2009, Van Cleef & Arpels. Or blanc, jade jadéite, grenats tsavorites, diamants. Collection privée. © Anne de Pontonx, tous droits réservés.

Nous sommes en 2009. La neige est tombée cette nuit, un molleton blanc rembourre le mobilier de jardin alors évidemment la faune, maline, s’y est déjà adaptée. C'est moins évident pour la flore, qui se force à lutter un peu. Et justement, Bambou sous la neige c’est ça : un morceau de jade jadéite qui ploie sous une couverture trop lourde pour lui. Et les joailliers de nous la représenter le plus naturellement possible, toute polymorphe ! Parce que c'est vrai qu'elle est comme ça la neige, elle est plurielle. Et c'est vrai aussi que chacun de nous en a une impression différente. Puissante et parfois menaçante mais aussi fragile, en flocons ou bien fondue. Ici au fur et à mesure qu’elle glisse jusqu’au bout des branches cambrées, elle se jette dans le vide avec docilité, au goutte à goutte. Vous voyez ? Situation initiale, élément perturbateur, péripéties et même dénouement, tout y est !


Diadème "stalactite", 1904, Chaumet. Réalisé pour la Marquise de Lubersac. Platine, diamants.

Alors que vers chez Chaumet on raconte un autre type d'histoire. C'est l'histoire d'un froid plus incisif, plus sévère, plus définitif. Un récit qui pique à grands coups de stalactites, un de ceux qui pourrait mal finir si par hasard, une des épées de glace du diadème se détachait. L’histoire se conclurait tragiquement, avec un empalement par le haut. C’est rude, surtout pour la Marquise de Lubersac qui est en dessous. Puisque c'est pour elle en effet, qu'on a commandé chez Chaumet ce diadème en 1904. Un bijou atypique pour célébrér un mariage, le sien donc, avec le fils de Louis-César, Marquis de Lubersac, le commanditaire du diadème. Des mauvaises langues pourraient voir dans le cadeau la marque d'une légère hostilité... Les esthètes y verront la singularité magistrale d'un coup de crayon sûr et absolu, d'un bijou au style sûr et à l'efficacité lapidaire.


On ignore qui du Marquis ou de Joseph Chaumet est à l’origine de la thématique hivernale. Alors comme dans les meilleures romans, une part de mystère perdurera... Et, petite précision notable quant à l'évolution du motif, on sait que les archives mentionnent la commande de Louis-César et même qu'il existe un gouaché du diadème. Cependant on y remarque que les quelques diamants libres -petites gouttes de gel qui lui tombent de sa mâchoire crantée- n'y sont pas dessinés. Peut-être qu'à l'origine, la neige était supposée être éternelle, comme un heureux présage pour l'union à venir ? Pourquoi pas !

Joaillerie d'intempéries

Point de présage pour cette broche de David Michael. Si ce n’est la promesse déjà tenue d'un hiver qui décline ! Serait-il à nouveau utile de souligner qu'ici aussi, la neige est en train de fondre ? Disons que non, mais on note tout de même le destin pour le moins tragique que les joailliers semblent lui réserver. Ni plus ni moins que sa disparition, certes progressive, mais néanmoins systématique et forcément définitive. La carpe koï n'en sera que plus heureuse au fond de son bassin !


Côté matériaux, le dégel a fait naître un parterre plutôt éblouissant de diamants blancs, pierres de lunes et opales. Pour la neige on a travaillé le cochalong, un minéral laiteux dont la couleur et la texture rappellent effectivement la neige - ou aussi, la chair de noix de coco. Et c'est maintenant que le premier détail séduisant fait son entrée - oui, il y en aura un autre - : entre les harmonies ivoirines, on voit poindre des grenats tsavorites d'un vert éclatant, la jeune herbe vigoureuse qui reprend ses droits.



Enfin rendez-vous sur l'envers du bijou pour mesurer la complexité de cet objet-broche. Quand le bijou n'est pas porté, on peut le poser comme comme un bibelot grâce au petit monticule de neige qui a été conçu pour. C'est un détail camouflé à l'arrière certes, mais qui témoigne d’une belle recherche. L’étang de carpes est à mi-chemin entre l’objet d’art, le paysage, la parure. Un bijou au statut hybride qu'on regretterait d'embastiller dans une définition qui serait de toutes façons trop étroite pour lui.



Changement de décor, toujours chez David Michael. Que nous racontent ces deux physionomies ? Une vision "météo-manichéenne", osons le terme.

Mais malgré son charme naïf, elle est tout à fait anti-conformiste. Ici la pluie est douce et les rayons de soleil assaillent. L’aviez-vous remarqué ? On croirait l'Etranger de Camus qui, tyrranisé par un soleil de plomb, compare la lumière à "une longue lame étincelante". Et c'est vrai, on ne saurait mieux décrire la fureur du soleil quand il s’acharne… Parce que même quand elle est battante, la pluie semble inapte à ce type de violence, toute tendre qu’elle est dans la boucle de gauche.


En tout cas c’est ainsi qu'on les interprète, ces boucles d'oreilles dichotomiques. Et c'est vrai que les thématiques d’opposition siéent bien à cette typologie de bijoux que l’on porte par deux. A fortiori quand on sait que "David Michael", c'est en réalité David et Michael Robinson, des frères... jumeaux.





Enfin pour ce dernier tableau, voyons un peu... L'âme végétale de l’argent noirci, les diamants en briolette et brillants pour figurer non seulement de la neige, mais aussi du givre -oui, on y distingue les deux-, et le platine pour monter le tout : pas de doute, nous sommes chez JAR. Et le site de Christie’s nous offre le luxe d'une observation plus rapprochée. On y voit les diamants sertis à même la branche, les autres en grappes qui sont cloués en apesanteur. On peut y voir les torsions des troncs, la blancheur ternie de la neige. Bref on y voit la finesse et l'équilibre, sa poésie.


Pour aller plus loin :


- La collection Hiver Impérial de Boucheron


- Les boucles d'oreilles flocons d'Alexandra Mor


- L'arbre d'Adrien Lewis


- La tiare "Fire & Ice" de Geoffray Rowlandson


- L'énigmatique broche d'Orphée flottant sur la rivière Hadès, par Gabriel Falguière


- Le flocon de Wallace Chan


 

Ouvrage collectif : MNHN et Van Cleef & Arpels. Pierres précieuses. (French Edition). Paris, France, Éditions Flammarion.


Perez, K. pour Jewellery Insights (juin 2021). Come Rain or Shine: Weather Inspired Jewels. Consulté à l'adresse :

https://www.katerinaperez.com/courses/weather-inspired-jewels-come-rain-or-shine


Rees, L. pour Galerie Magazine. (Janvier 2021). Meet the Twins Handcrafting spectacular high jewelry from an oceanside workshop in Australia. Consulté à l'adresse : https://galeriemagazine.com/david-michael-jewelry/


Scarisbrick, D. (2002). Bijoux de tête. Chaumet, de 1804 à nos jours. Paris, France. Éditions Assouline.


Atelier René Milone, De quelle couleur peindre la neige dans vos tableaux de paysage. Consulté sur Youtube à l'adresse : https://www.youtube.com/watch?v=pHg5QBp0Xic


Tiara Mania (images). Consulté à l'adresse :

https://tiaramania.tumblr.com/post/637682741016756225/snow-ice-tiaras

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