Patriotiques
Dans les années 1940, temps de conflit peu propices à la création joaillière, les Maisons Tiffany, Cartier, Boucheron ou Van Cleef & Arpels ont, par le biais de quelques pièces notables, affirmé aux Alliés soutien et gratitude. À cette époque, l’expression d’une opinion patriotique pouvant s’avérer risquée, l’heure est aux allégories, plus ou moins discrètes... Les hirondelles et autres oiseaux évoquent l’espoir et la liberté, les insectes symbolisent la patience, les drapeaux, le soutien aux forces nationales. Le point sur quelques-unes d'entre elles :
Considérée comme transgressive, une broche Cartier figurant un oiseau en cage vaut à Jeanne Toussaint une explication avec la Gestapo, en 1942. Sur la broche, les ailes de l’oiseau sont ouvertes, mais son envol est contraint par les barreaux d’or de la cage. L’harmonie des couleurs est plutôt maussade, un cabochon de saphir pour la tête, un cabochon d’émeraude pour le corps, des pavés de diamants pour les ailes et la queue, forment dans l’ensemble, peu d’éclat. Ses yeux sont petits, son bec fermé. Deux ans plus tard, la Maison réutilise le symbole de l’oiseau pour célébrer la Libération. L’oiseau libéré déploie ses ailes hors de sa cage, en chantant. Le trio bleu-blanc-rouge des drapeaux Alliés est formé par le lapis, quelques diamants et du corail. Son œil de saphir et son bec ouvert témoignent de sa joie.
Solidaires de leurs époux déplacés, les femmes de soldats arborent leurs insignes militaires en broche. Au sommet des États en guerre, elles sont portées par Eleanor Roosevelt, et la très élégante Duchesse de Windsor. Le joaillier américain Tiffany & Co réalise des broches de toutes formes et motifs, aigles, drapeaux ou lettres stylisées, comme le V de Victory accompagné de détails tricolores, que le parisien Mauboussin affectionne aussi. Boucheron, dont les deux héritiers sont mobilisés, mais reviendront, crée des trios de cocardes et les petites fleurs de la Résistance à motifs de bouquets de fleurs enrubannés.
Dans les années qui suivent, l’association bleu-blanc-rouge, reste dans le cœur des joailliers. Dans le goût de l’époque, Van Cleef réalise la collection Hawaii, vers 1945, qui représente des bouquets et parterres abondants de fleurs bleues, blanches et rouges en pierres précieuses, installées sur d’épaisses montures d’or. D’autres Maisons n’ont pas cette chance, les stocks de pierres sont vides car elles ne transitent plus jusqu'à l'Europe, et les pierres de synthèse, désormais foisonnantes, sont accueillies avec moins de réticence.
La portée ambassadrice de la broche se poursuit au-delà de cette période de conflit, elle est notablement cultivée en 1997 par Madeleine Albright, alors secrétaire d’État des États-Unis. À chaque rencontre diplomatique, elle choisit avec soin le bijou servant au mieux sa stratégie politique. Ainsi, selon les animaux et les motifs qui y figurent, drapeau américain ou oiseaux, serpents, libellules, ses broches incarnent ses sentiments politiques, tels que confiance, méfiance, patience, etc. donnant le ton à l’entrevue.
Aucremanne G. et Joannis C. Bijoux masculins : signes et insignes. Conférence du 13/02/2020 à l'Ecole des Arts Joailliers, Paris.
Bennett, D., & Mascetti, D. (1989). Understanding Jewellery. Suffolk, Angleterre : Antique Collectors’ Club.
Junker, C. pour Property of a Lady (30 mai 2018). Le bijou rétro. Chef d'oeuvre d'orfèvrerie des années 40 et 50. Consulté à l'adresse : http://propertyofalady.fr/2018/05/30/le-bijou-retro-chefs-doeuvre-dorfevrerie-des-annees-40-et-50/
Neret, G. (1988). Boucheron, histoire d’une dynastie de joailliers. Fribourg, Suisse, Edition Pont Royal.
Notes Précieuses (29 février 2012). Les broches de Madeleine Albright. Consulté à l'adresse : http://www.notesprecieuses.com/lemagazine/2012/02/29/collection-de-bijoux-de-madeleine-albright-quand-les-broches-se-font-diplomates/
Rochefoucauld, J. W. L., & Carrières, S. (2017). Les plus beaux bijoux de femmes joaillières. Lausanne, Suisse, Edition La Bibliothèque des Arts.Aucremanne G. et Joannis C. Bijoux masculins : signes et insignes. Conférence du 13/02/2020 à l'Ecole des Arts Joailliers, Paris.