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  • Photo du rédacteurAdèle Aribaud

Le piétement des œufs de Fabergé, questions d'équilibre


L'ovoïde. Quelle forme contraignante pour un objet que l'on souhaite poser que celle de l'oeuf ! Puisque Fabergé en est devenu le maître incontesté au nom du faste impérial, il est logique d'en déduire qu'il a forcément du à un moment, axer son génie sur une autre espèce d'art, le piétement. Voilà donc le véritable "elephant in the room" de l'orfèvrerie Fabergé, une pièce maîtresse qu'on n'avait pas forcément vue venir !

Œuf à la poule, Maison Fabergé, 1885. Or, émail, or multicolore, rubis. H : 6,4 cm.

Le premier de la cinquantaine d'oeufs impériaux de Fabergé n'a pas de socle. L'Oeuf à la poule, un oeuf "simpliste" assez sobre, en émail blanc sans décor particulier et qui contient une poule en or, est capable semble-t-il d'être présenté en équilibre vertical sans pied. Est-ce le fait d'un astucieux petit fond légèrement aplati ? Sûrement.


Œuf impérial à la montre. Or, saphir cabochons, diamants, émail, 1888. Retrouvé en 2014. H : 8,2 cm.

Le second oeuf de Fabergé réalisé pour Pâques 1886 ayant été égaré, on ignore son apparence. La transition avec le troisième oeuf n'en est que plus abrupte. L'oeuf impérial à la montre est le contraire de son prédécesseur. Non seulement l'oeuf-montre godronné repose sur un socle, mais en plus celui-ci est massif, ornementé à l'extrême, décoré de festons, de guirlandes et de pierres précieuses et terminé en pattes de lion dans un méli-mélo de styles. Il a la particularité d'être conçu comme un cerclage enserrant l'oeuf à un tiers de sa taille, ce qui lui permet de s'ouvrir quand même. Une fois l'oeuf ôté de son support, celui-là ressemble à un piétement classique, comme une athénienne sans plateau.



Massif également, le piétement de l'oeuf impérial en berceau aux guirlandes. Il est plutôt chargé en détails décoratifs, fidèle au style Louis XVI. Et il pose une nouvelle question : les oeufs de poule ont-ils un sens ? Physiquement, est-ce besoin de le préciser. Puisqu'ils ont une extrémité arrondie et une autre plus pointue, on s'interroge. Généralement (biologiquement) on s'accorde à dire qu'un oeuf est à l'endroit si sa pointe est dirigée vers le bas. Cela devient d'autant plus illusoire de vouloir le faire tenir à la verticale...


Œuf impérial en berceau aux guirlandes, 1907. Or multicolore, émail, diamants, rubis, perles, onyx. H : 14,6 cm.

Et si on interroge Fabergé... La réponse ne se fait pas attendre. Il n'existe qu'un seul oeuf dont la pointe est dirigée vers le haut. Il s'agît du magnifique oeuf aux Miniatures tournantes (voir ci-dessous) dont on comprend qu'il est ainsi placé pour dessiner un alignement imaginaire vers le ciel, quasiment une trajectoire. Trajectoire renforcée d'ailleurs par une tige centrale cannelée et qui se termine par un cabochon d'émeraude particulièrement pointu. Le socle unipode à décors d'émaux champlevés est donc le seul de la série à supporter un oeuf posé dans ce sens.

Enfin pour ce qui est des oeufs présentés couchés, ils sont quatre. Le premier est l'oeuf Renaissance (1894) puis viennent ensuite l'oeuf en berceau aux guirlandes en 1907, l'oeuf au Paon en 1908 et l'oeuf au Standart qui date de 1909. Tous s'ouvrent lattéralement. Détail exquis, on parvient pour chacun à distinguer la partie la plus pointue de l'oeuf, même couché.


Oeuf impérial aux miniatures tournantes, Fabergé, 1896. Or, cristal de roche, émail, émeraude de Sibérie de 27 carats.

Œuf au laurier ou œuf à l’oranger, Fabergé, 1911. Or, néphrite, émail, diamants, diamants champagnes, rubis, améthyste, citrines, plumes.

Quid de l'exact opposé de ces socles lourds, colorés et tapageurs ? Quid d'une disparition totale du piétement ? Pour dissimuler quelque chose, ne dit-on pas qu'il faut le noyer dans un décor qui lui ressemble, à là Where's Wally ? C'est l'idée de l’œuf au laurier qu'a reçu Maria Feodorovna le matin de Pâques 1911. Grâce au sujet de l'arbre planté dans un bac, Fabergé efface, peut-être presque totalement, la notion de piédestal. Son arbre, substitut temporaire de l'oeuf grâce à sa forme arrondie, est en hauteur parce que c'est sa réalité naturelle : on légitime ainsi sa surélévation. Il est enraciné dans un pot posé au sol pour la même idée de représentation du réel. Dans les oeufs impériaux donc, le piétement le plus invisible est moins celui qui essaye de se faire discret par son dénuement que celui dont la présence est la plus logique et la plus évidente. Ici donc, un bac à fleur (en quartz et treillis d'or, tout de même) !


Àpropos de la surprise de l'oeuf au laurier : tournez une orange en pierre précieuse et le sommet du feuillage laisse émerger un rossignol à vraies plumes gazouillant. C'est un petit soufflet placé à l’intérieur de l’arbre qui lui permet de chanter. Dès que la mélodie est terminée, l’oiseau disparaît automatiquement.



Au fil des années les thèmes des oeufs de Fabergé ont occasionné de fabuleuses recherches créatives pour les piétements. De la surprise "table" dont les traverses en étoile sont assorties à celles des pieds de son oeuf (Oeuf impérial du Palais Alexandre), du pied entièrement végétalisé de l'oeuf aux Pensées jusqu'au pied imitation vase de l'oeuf au panier de fleurs sauvages... Les piétements ont renforcé les concepts des oeufs, précisé leurs styles, nourri leurs thèmes. Ils ont permis à ces oeufs solidement tuteurés ou libres comme l'air de s'ouvrir dans tous les sens possibles et de susciter l'émerveillement, à tous les coups. Parfois ils se sont fondus dans le décor dans une unité manifeste. Parfois à l'inverse, ils ont radicalement contrasté avec les oeufs. Tantôt Fabergé les a unis, tantôt il a transcendé leur dissensions. Comme un père qui réconcilie parfois des frères ennemis... Mais de toutes façons pour les oeufs comme pour leurs socles, la seule règle qui compte, c'est la surprise.


 

Pour aller plus loin :


Les propriétés impériales du tsar et de la tsarine peintes sur les miniatures de l'oeuf aux miniatures tournantes : les palais de Darmstadt, Hesse et Cobourg en Allemagne, le château de Windsor, le château de Balmoral, Cathcart House* et Osborne House sur l'île britannique de Wight pour la Grande-Bretagne et le Palais d'hiver, le Palais Anichkov et le Palais Alexandre pour la Russie.



 

Hill, G., Smorodinova, G., Ulyanova, B.L, (1989). Faberge and the Russian Master Goldsmiths. (1989). Editions Macmillan Pub Co.


Kenneth Snowman, A., (1993). Fabergé trésors retrouvés. Editions du collectionneur.


Lovreglio, A., (2011). Dictionnaire des Mobiliers et des Objets d’art. Editions du Robert.


Connaissance des Arts, n° 24 (15 février 1954). Article "Le Benvenuto Cellini des temps modernes, Carl Fabergé" par Paul Guth.


L'Estampille, n°74 (15 février 1976). Article "Le monde féérique des Fabergé" par Christine Masson et Claude Temple, enquête Isabelle Dewarvin.

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