Adèle Aribaud
Chez Michele della Valle, le grand théâtre
Des pièces classiques, « passe-partout », mais aussi des trouvailles plus audacieuses, anticonformistes ou esthétiquement hyper-complexes ; c’est cela que MDV impose comme sa signature. Depuis vingt-cinq ans, les bijoux figuratifs occupent le devant de sa scène. Et pour cause, celui qui a tourné le dos à la carrière de ténor qui s’offrait à lui est un passionné de nature. MdV donne à voir ce qu’il aime observer et le met en scène.
Marchand de pierres avant d’être créateur de bijoux, MdV s’affirme comme fin coloriste. Il créé des mélanges de gemmes pour produire des teintes proches du réel et souvent toniques. En précurseur, il travaille également des matériaux de monture inattendus comme le titane, réputé pour sa légèreté. Grâce à la couleur métamorphosable de ce métal encore rare en joaillerie, MdV suscite des illusions chromatiques comme en 2006 avec la broche Glycine. Représentant une cascade de fleurs parme, la broche n’est en fait composée d’aucune pierre de cette teinte. La duperie résulte du mariage entre une monture en titane mauve avec une infinité de pierres blanches et bleutées. La confusion fait mouche.
Comme pour organiser une performance scénique, MdV créé des tableaux. Chaque nouvelle création a le sien. Il est donc question de créer une atmosphère en replaçant l’objet, le personnage, l’animal ou le végétal dans un contexte. En 1998, il place un bout de corail à côté d’un petit banc de poissons. En 2002, il assoit un lapin au milieu d’une pelouse d’émeraudes. S’ensuivront ensuite un chien assis vu de dos, contemplatif, un croissant de lune placé haut dans le ciel (2008), puis une broche vue de Rome colisée et pins parasols compris, ou encore un bouquet de tulipes fringantes dans leurs vase (2011). Ainsi placés dans un espace qui les dépasse, ses protagonistes sont mis en situation.
Côté flore, on retrouve dans l’herbier joaillier de MdV les classiques œillets, camélias, mimosas, liserons, glycines, anémones, orchidées et bien sûr, roses. Il les modélise en noyant dans l’ensemble des imperfections exquises comme des feuilles flétries, des pétales enroulés sur eux-mêmes ou des fleurs en bouton. A l’instar de la Maison romaine Bulgari à qui il vendait des pierres dans les années 1980, MdV fait frémir certains bijoux grâce au dispositif du tremblant. Encore une habileté joaillière.
Enfin chez MdV, il arrive que le décor soit planté avant même que le client ait vu son bijou. Par l’écrin, outil marketing dont la pertinence n’est plus à prouver, MdV place sa création dans un espace-temps plus vaste. Ainsi ses clips d’oreilles Poussins (2014) en saphirs jaunes sont tous deux présentés dans un œuf feutré, une boîte beige ovoïdale. Même idée pour le pendentif Pinocchio (2016) qui est placé au milieu du ventre de la baleine-écrin qui l’a déjà englouti.
Ajoutons pour conclure que MdV compte parmi les quelques joailliers amateurs d’appairage et d’asymétrie. Nombre de ses broches se portent en duo. Souvent même, ses boucles d’oreilles se répondent. Dans leur dialogue, l’une est le négatif de l’autre.
Rochefoucauld, J. W. L., & Carrières, S. (2013). Haute joaillerie, bijoux exceptionnels du XXIe siècle. Suffolk, United-Kingdom, Editions La Bibliothèque des Arts.