Adèle Aribaud
Masterpiece : Le collier du Maharadjah de Patiala (Cartier, 1928)
Réalisation ostentatoire et extravagante par excellence, cette pièce hors normes en tous points a fait date dans le milieu joailler. Son commanditaire, le non moins hors normes Bhupinder Singh est un prince régnant sur Patiala, un État du nord de l’Inde. Commandé chez Cartier en 1925, achevé en 1928, le collier dit « du Maharadjah de Patiala » est un des chefs d’œuvre les plus admirables et admirés de la Maison.
L’histoire du collier débute en 1900 quand Bhupinder Singh, un jeune prince aventureux et exubérant, succède à son père le Maharadja Rajendra Singh. Il hérite de sa fortune colossale, mais aussi de son féroce appétit pour les bijoux et autres objets de luxe qu’il convoite sans mesure… La très foisonnante collection familiale des Singh comprend d’ailleurs un des plus gros diamants jaunes du monde, le « De Beers », originaire d’Afrique du Sud, une acquisition qui pèse le poids faramineux de 234,65 carats métriques, 428 avant taille ! (Soit 46,93 grammes et 86,8 grammes avant taille). Rappelons quand même que l’Inde est un fournisseur de premier ordre en pierres et perles, et qu’il est le premier pays producteur de diamants au monde. Et depuis des siècles dans la tradition indienne, les hommes puissants sont très richement parés. Les bijoux y symbolisent le pouvoir, la protection divine, et expriment même leur déférence envers le pays et ses splendeurs. On sait les maharadjahs friands de toutes sortes de bijoux, boucles d’oreilles, bagues, colliers, ornements de cheveux, d’épaules et de turbans. En 1925, le Maharadjah dépose chez Cartier quelques milliers de diamants -dont le fameux De Beers-, tous destinés à orner une seule et même pièce, un devant de corsage au gabarit grandiose qui se déploie sur des proportions olympiennes.
La commande va mobiliser tout le génie de la Maison Cartier pendant trois ans : il faut créer un métissage qui mêle techniques et tendances esthétiques presque parfaitement antagonistes.
Et c’est un chemin miné ! D’abord parce qu'on le voit, Cartier fait le pari du platine pour charpenter le bijou. Or depuis toujours en Inde, et pour de multiples raisons, les maharadjahs ne portent que de l’or. Ils se refusent fermement à porter de l’argent, un métal trop pauvre, qui ternit avec le temps... Mais à ce moment-là en France, le style Art Déco vit ses grandes heures et la Maison chérit le platine. Solide et malléable à la fois, il permet une finesse inédite pour les montures. Il offre par conséquent aux diamants de mieux réfléchir leur éclat, une caractéristique en effet bien opportune pour un bijou de parade.
Le deuxième parti pris important du bijou concerne le choix du traitement réservé aux diamants. Une grande partie des pierres est d’origine indienne, mais leur taille elle, a suivi la mode occidentale. Il n’était absolument pas évident que Cartier allait proposer des pierres toutes facettées, puisqu’en Inde elles sont très souvent lisses et polies. On s’explique cette décision pourtant assez simplement, parce que le facettage permet aux gemmes de dégager un flamboiement bien supérieur à celui d’une pierre lisse. D’ailleurs, le collier est presque entièrement « blanc ». Un possible clin d’œil aux perles blanches, depuis toujours estimées en Inde…
Enfin stylistiquement, il semble que Cartier ait tenu à adopter quelques codes typiquement indiens. L'utilisation de cordons pour les fermoirs, ou les cascades de rangs par exemple, sont un format très classique des colliers en Inde. Le collier en compte trois en chaîne, qui se fractionnent finalement en cinq. Ils sont ponctués avec panache par le fameux De Beers. La morphologie du collier est telle qu'elle créé des maillons qui rappellent les chaînes d'huissier, et qui évoquent bien subtilement le pouvoir : c'est un élément statutaire. Elle met également à l’honneur des motifs décoratifs « boteh », dits « motifs cachemire ». On leur trouve un écho discret au bas du collier, dans des sortes de gouttes formées par les treize topazes blanches qui émergent de pendeloques piriformes.
Le collier a malheurseuement été perdu dans les années 1970, puis retrouvé dépossédé de ses plus belles pierres, mais néanmoins racheté par Cartier. Le De Beers lui, a sûrement été retaillé. Reconstitué grâce à des pierres de synthèses, le collier a pu être exposé en 2015 au Grand Palais à Paris. Il est long de 27 centimètres, lourd d’une myriade de 2930 pierres précieuses, et reste à ce jour la commande la plus coûteuse jamais passée dans l’histoire de la haute-joaillerie.
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