Adèle Aribaud
Margaret de Patta, la lumière comme matière
Formée en autodidacte aux techniques de l’orfèvrerie, Margaret de Patta est une peintre devenue artiste-joaillière à la fin des années 1920, à la suite d’une très décevante séance d’essayages d’alliances pour son mariage… Sensible à des pratiques artistiques transversales, elle est une femme visionnaire et une moderniste affirmée. Ses bijoux sont inscrits dans l’esthétique du Bauhaus, son esprit démocratique, ses théories constructivistes, et dans les expérimentations scientifiques qui l’élèvent. La lumière sera son fil rouge.
C’est à presque 30 ans que Margaret rompt définitivement avec la peinture qui l’avait pourtant initiée aux arts. Elle prend cependant activement part aux mouvements modernistes qui émergent çà et là dans d’autres disciplines. Elle se rapproche du Bauhaus via Moholy Nagy, un des maîtres de l’avant-garde du design et fondateur du Bauhaus à Chicago. Il dira, après sa mort prématurée en 1964, que « les bijoux de Margaret sont les plus réussis du pays ». Pour l’heure Margaret suit des ateliers sur la lumière à Chicago et, fait rare pour une peintre, délaisse complètement les questions de couleurs. Ses bijoux n’en font effectivement pas grand cas. Ils sont animés en revanche, par les enjeux de l’architecture et de la sculpture : la liberté de forme, le vide, les espaces, le mouvement, la translucidité.
En 1939, elle est présentée à l’exposition universelle de San Francisco. Son travail est donc déjà reconnu quand elle explore la technique du photogramme, une image photographique obtenue sans appareil photo. Mise en lumière par Man Ray et Moholy Nagy juste avant elle, cette technique permet d’obtenir une image en négatif grâce à un film photosensible et à une exposition à une luminosité intense. L’abstraction s’ancre un peu plus profondément dans son ADN artistique, et n’en ressortira jamais.
Ses expériences de photogramme lui inspirent des bijoux, à l’image de cette broche réalisée en 1955. La référence à la superposition, à la transparence, à l’interpénétration des motifs qui s’avalent est mise en forme grâce à des lignes d’argent parfois gravées, parfois modelées. Elle l’est aussi grâce à un cabochon de quartz rutilé dont les inclusions jouent sur l’intensité du motif, à l’image des cercles du photogrammes plus ou moins nets, plus ou moins opaques.
Ce sont justement les pierres qui vont hisser ses bijoux à un autre niveau, par le biais de sa rencontre avec un lapidaire de San Franciso, Francis Sperisen. Les jeux de lumière l’intéressent plus que jamais, elle recherche de nouveaux minéraux inclus. C’est ainsi qu’elle invente les opticuts, des pierres -généralement peu précieuses- taillées pour créer des effets d’optiques. Les opticuts complexifient visuellement ses créations, ils seront sa signature.
Ces deux modèles des années 1950 illustrent les effets d’optiques sur lesquels le binôme travaille : l’écran de maille se gondole dans le quartz de forme libre au fur et à mesure que le regard se déplace. Idem pour le modèle en or blanc : la ligne droite est hâchée par les soubresauts de la lumière au travers de ses facettes.
Son autre héritage, ce sont ses montures si singulières. Derrière la simplicité qu’elles affichent se cache un cahier des charges esthétique et conceptuel complexe. Les montures doivent disparaitre, se placer en porte-à-faux, éviter les pointes et collerettes sur les pierres qui doivent flotter, ne doivent pas gêner l’entrée de la lumière.
Enfin, Margaret de Patta s’attache aux questions de mouvement. Ainsi plusieurs de ses bijoux sont montés sur pivots et autres mécanismes de mobilité. Les pierres de couleurs ne sont pas en reste, le porteur du bijou peut les adapter à son humeur ou à ses vêtements, et les retourner. Enfin, les broches sont conçues pour être fixées dans différentes positions. Pour percevoir les effets cinétiques qui peuvent les animer, Margaret capture leurs mouvements sur des photographies.
"Un bijou bien conçu devrait incarner les tendances de notre époque - ces nouveaux types de structures, la ligne pure, l'élimination de la décoration, les nouveaux concepts spatiaux, l'utilisation de nouvelles transparences et une nouvelle appréciation et utilisation de la forme organique - la reconnaissance de la véritable essence de ces choses se développe, consciemment ou inconsciemment, dans une minorité toujours plus grande."
Margaret de Patta
Le Strict Maximum (fev 2015). Les bijoux de Margaret. Consulté à l'adresse : http://lestrictmaximum.blogspot.com/2015/02/les-bijoux-de-margaret.html
Hoffman, C. pour CarrieHoffman. People we love : Margaret de Patta, Jewelry designer. Consulté à l'adresse : https://carriehoffman.com/blogs/chj-inspo/people-we-love-margaret-de-patta-jewelry-designer
Ilse-Neuman, U. pour Art Jewelry Forum. (juillet 2012). The transcendent jewelry of Margaret de Patta : vision in motion. Consulté à l'adresse : https://artjewelryforum.org/articles/transcendent-jewelry-margaret-de-patta-vision-motion
Mc Carthy, C. pour The Jewelry Loupe. (juin 2013). Women who paved the way : Margaret de Patta. Consulté à l'adresse : https://thejewelryloupe.com/margaret-de-patta-space-light-wearable-sculpture/
Neyman, B. pour Art Jewelry Forum. (juillet 2012). Space-light-structure : The jewelry of Margaret de Patta. Consulté à l'adresse : https://artjewelryforum.org/exhibition-reviews/space-light-structure-jewelry-margaret-de-patta