Adèle Aribaud
Les bijoux du défilé Haute Couture de la Maison Schiaparelli
Si la Direction artistique de la Maison n'est aux mains de Daniel Roseberry que depuis avril 2019, il n'aura fallu que deux saisons au texan pour la marquer de son empreinte. Le 20 janvier 2020, il a présenté au Palais de Tokyo une collection riche de trente-six silhouettes, au charme caractéristique du style «Schiap», un habile mélange d’élégance et d’extravagance. Massivement salué, l'arsenal très audacieux de bijoux présenté à cette occasion a dessiné les contours d’une nouvelle ère de l'art bijoutier à la sauce Schiaparelli. Décryptage :
Les imposants bijoux dorés sont légion : Roseberry s'est complètement détourné de la bijouterie argentée, pourtant toujours en grâce chez certains couturiers (on en voit encore en 2020, notamment chez Jean-Paul Gaultier). Les aériennes ear-cuff - littéralement "bagues d'oreilles" -, des bijoux protéiformes, voient leur taille augmenter à mesure qu'elles se propagent sur les podiums. Idem pour les paires de boucles d'oreilles qu'on ne porte presque plus que dépareillées. Elles ont d'ailleurs complètement éclipsé l'absence de tous bracelets ou bagues dans la collection. Ce choix a très certainement épargné à tout l'ensemble de dégager une sensation de surcharge. Ces nouveaux codes, finalement très eighties (couleur, format, matériaux), signent la toute fin du règne de l'argenté, même pour les accessoires. Le doré "fantaisie" est partout, des montures de lunettes jusqu'aux anses des sacs.
Quelques-unes des pièces les plus emblématiques de la Maison sont nées d’inspirations ou de collaborations d’Elsa Schiaparelli avec des artistes de son temps, bien souvent avant-gardistes.
En 2020, quelques grands symboles de la Maison ont fait l'objet d'une réinterprétation : les os, les volutes, le soleil, la main et l'oeil.
Dans la robe dite «Squelette», fruit de la coentreprise de la créatrice italienne avec Dali en 1937, devenue fameuse grâce à ses broderies imitant la charpente d'un corps en relief. L'effet a été reproduit sur une fabuleuse paire de gants brodés de petits os dorés. Et l’exemple s’est répété sur d'autres bijoux : on y repère quelques volutes tourmentées de style XVIIIème (présentées dans la collection Eté 1937, portée par Wallis Simpson et photographiée par Cecil Beaton), mais aussi le motif du soleil (cape Soleil, dessinée par Christian Berard, 1938), celui de la main (Mains peintes par Picasso, photographiées par Man Ray en 1935, à l’origine des Gants Schiaparelli à ongles en peau de python rouge), et celui de l’œil ouvert (Broche Œil, dessinée par Jean Cocteau pour Elsa Schiaparelli en 1937).
Autre tendance : on remarque que des perles, des coquillages blancs et de nombreux strass ont été habilement intégrés aux textiles pour créer quelques effets. Ils sont positionnés sur les manches, brodés sur les dos, et aux places conventionnelles des broches, des fibules et des boutons. La distinction entre les orfèvreries du vêtement, totalement inamovibles, et les bijoux mobiles, qu’on porte puis qu’on enlève, tend à devenir obsolète. C'est le fameux look 29 du défilé qui a brouillé ces codes : des broches comme des affiquets, parsemés sur une robe bleue, ont couru jusque sur les bras et le visage de son mannequin et sont devenus des "bijoux de corps". L’ensemble, « arty captivant » selon Vogue, est sensationnel.
Un mot enfin doit être consacré aux différents matériaux souvent modestes et de pacotille qui constituent les parures dites "coutures". C'est là un paradoxe que la mode a développé jusqu'au coeur de ses institutions les plus prestigieuses, parmi lesquelles on retrouve la Maison Schiaparelli bien sûr, mais aussi Chanel, Saint Laurent et Dior, toutes productrices de nombreux bijoux en "toc".
C'est une bizarrerie de voir le Saint des Saints du luxe se priver de ce privilège qu'est la manipulation de matières nobles, de gemmes rarissimes et d'un savoir-faire parfois millénaire.
Mais l'utilisation de matériaux peu onéreux permet d'élargir les horizons de la création, et le bijou couture ne peut pas être comparé à une pièce de joaillerie, en cela qu'il n'a pas pour point de départ la mise en valeur de pierres précieuses ou fines et matières nobles. Dans ce domaine, une pièce réussie doit offrir aux éléments qui la composent la meilleure exploitation d'eux-mêmes (taille, dessin, harmonies). C'est tout ce que n'ambitionne pas le bijou couture. Il n'aspire pas à être une fin en soi, il intervient au milieu d'un ensemble qu'il vient ponctuer, agrémenter, pimenter. Et en effet, le look 29 de Roseberry en est le plus somptueux des exemples.
Aras (Archive for Research in Archetypal symbolism). (2010). Le Livre des symboles. Réflexions sur des images archétypales. Cologne, Allemagne, Éditions Taschen.
Bladt, M. (2020, janvier 24). Les 8 looks beauté qui se sont démarqués à la Fashion Week haute couture. Consulté à l’adresse https://www.vogue.fr/beaute/galerie/les-8-looks-beaute-qui-se-sont-demarques-a-la-fashion-week-haute-couture
Dossier de l’Art, n° 154 (Juillet-août 2008) « Les grandes collections de bijoux des musées européens » Dijon, France, Éditions Faton.
Pinasa, D. (2008). Costumes - Tome 1. Paris, France, Édition du Rempart.