top of page
  • Photo du rédacteurAdèle Aribaud

Le bestiaire noir de la Maison Boivin

Nombreux sont les animaux qui composent la ménagerie Boivin. Rares sont pourtant ceux qui, autant que les animaux noirs, rendent saisissable, quasiment palpable, l’esprit pionnier de la Maison. Par ses choix de matériaux, la Maison initie une conception nouvelle de la joaillerie. Focus sur le clip Hindou (1935), le clip Bélier couché (1968) et le clip Cancer (1973).


Depuis toujours chez Boivin (1890-1991), le style est guidé par l’anticonformisme et la liberté de ton des directrices artistiques de la Maison. Dans les années 1920, Suzanne Belperron s’enthousiasme pour les bijoux volumineux, les courbes et les galbes, totalement à contre-courant de la tendance Art Déco. Elle est la première à manipuler des matériaux sans aucune préciosité. Lui succédant dans les années 1930, Juliette Moutard puis Marie-Caroline de Brosses (dès 1970) perpétuent cet esprit novateur et enrichissent la ménagerie Boivin d’animaux originaux. Par le biais du noir, qui ne sied alors aux créations joaillières qu’en de très rares occasions (mémento mori, bijoux de deuil, Art Déco), on saisit l’esprit Boivin, une signature atypique et avant-gardiste, devenue finalement son premier élément distinctif.

C’est à Suzanne Belperron, alors aux commandes de Boivin, qu’on attribue la première utilisation d’un matériau très novateur dans la joaillerie : le bois.

Le clip Hindou, un éléphant en ébène

Dans les années 1930, des échanges commerciaux entre l’Orient et l’Occident favorisent l’émergence d’une mode « à l’indienne ». Cette tendance bat son plein en 1935, année de création de la broche, ce qui explique le choix du motif, un cornac richement paré, assis à dos d’éléphant, encore plus richement paré. L’idée novatrice du bijou : l’utilisation de l’ébène ! Ce bois foncé, presque noir, dans lequel on taille des objets précieux depuis l’Égypte pharaonique, met en valeur la couleur des pierres précieuses. Le turban, le frontal de l’éléphant et son caparaçon sont sertis de rubis calibrés. Les pattes de l’animal sont cerclées d’émeraudes. L’ébène rehausse aussi parfaitement l’éclat de l’or jaune, placé sur les éléments caractéristiques de l’animal : large tête et pattes, extrémité de la queue, défenses et yeux. La broche Hindou, ici présentée seule, fait en fait partie d’un trio de clips, vendu plus de 72 000€ chez Sotheby’s en 2008. Le bois, diversifié par la suite (amourette, amarante, santal) restera un matériau signature chez Boivin.


Le clip de corsage Bélier couché

Depuis son arrivée chez Boivin, Juliette Moutard s’attache à proposer des animaux insolites, parfois amusants. En 1968 elle revisite un classique, le bélier. D’une tête stylisée, vue de face, elle modélise maintenant un bélier entier, dont seules les pattes et la tête sont émaillées, noires. Le corps de l’animal est serti de perles de culture de différentes tailles qui imitent, avec une pointe fantaisiste tout de même, son pelage bouclé. Couvrant pourtant une faible proportion du bijou, l’émail noir vole subtilement la vedette aux perles et à leur rondeur. Comme plus haut pour l’éléphant, le noir sert ici de « fond » à des éléments indispensables à l’identification de l’animal réalisées en or. Ainsi mises en valeur, ses cornes spiralées, son œil (orné d’une émeraude), sa bouche et ses sabots au repos dévoilent le caractère de l’animal : couché, paisible.

La broche Cancer

Nous sommes au début des années 1970 et Marie-Caroline de Brosses vient de prendre la direction artistique de Boivin. Désireuse de rendre accessible la haute-joaillerie à une clientèle plus vaste, un projet pour le moins insolite, elle expérimente de nouveau matériaux, moins coûteux. Ainsi apparaissent les broches et pendentifs en argent oxydé, noirci. Le crabe figuré sur la broche Cancer (1973) se démarque des autres animaux en vogue à l’époque, lions, panthères ou autres béliers. En effet, le crustacé ne pouvant être très expressif, et donc, singulier, MCB lui a fait courir une algue d’or sur la carapace. C’est par ce détail d’unicité qu’est compensée son absence d’attitude significative. Enfin, comme souvent chez Boivin, les articulations, yeux, pattes et pinces, sont couvertes d’or. En outre, le crabe cache sous son dos un compartiment secret.


 

Bennett, D., & Mascetti, D. (2012). Célébration du bijou, bijoux exceptionnels des XIX et XX siècles. (C. Pierre-Bon, Trad.). Woodbridge, United Kingdom, Edition La bibliothèque des arts.


Rochefoucauld, J. W. L., & Carrières, S. (2017). Les plus beaux bijoux de femmes joaillières. Lausanne, Suisse, Edition La Bibliothèque des Arts.

  • Instagram - Gris Cercle
bottom of page