Adèle Aribaud
La flore, les diadèmes et Chaumet
Fondée en 1780 par Marie-Etienne Nitot, la Maison Chaumet est une des plus anciennes Maisons de joaillerie parisienne. Au cours du Premier Empire (1804-1815), Nitot fréquentera le couple impérial : fin stratège, Napoléon 1er utilise les bijoux -et l’idée de prospérité et de pouvoir qu’ils propagent- comme des instruments politiques. Joséphine de Beauharnais, sa première épouse, est une grande amatrice de mode. Elle fait de Nitot son fournisseur attitré et remet les diadèmes au goût du jour. Il les pare pour elle de végétaux, branchages et autres rinceaux fleuris, des ornements typiques des époques grecque et romaine. Ils ne quitteront plus jamais les créations de la Maison.
Dans le vocabulaire stylistique de Chaumet, un des motifs incontournables est d’ailleurs l’ornement favori de l’impératrice Joséphine : les épis de blé. Dans un diadème réalisé vers 1811, ils sont représentés inclinés vers la gauche, comme affaissés sous la force du vent. Les tiges n’y sont pas représentées, mais chacun des épillets (environ 140) est mis en forme avec précision et serti de diamants.
Les joaillers de Chaumet réaffirment leur attachement au naturalisme dès 1830. Pour mettre en scène des fleurs de jasmin et d’églantine faites d’or, d’argent et de diamants dans le diadème dit « Bedford », ils réalisent des séries d’études et d’observations botaniques. Pourtant monochrome, leur représentation est très réaliste. On le doit avant tout à la fidélité avec laquelle ont été reproduites les corolles des fleurs (l’ensemble de pétales) et les feuilles, en particulier celles de l’églantier. On y voit bien leurs nervations et leurs bordures crénelées. En outre, il se trouve que la floraison du jasmin et de l’églantier se déroulent effectivement simultanément, au cours du mois de juin.
Pour éviter de dépeindre une scène « figée », les joaillers y ont utilisé la technique du tremblant.
Inventé à Paris à la fin du XVIIIème siècle, le dispositif du tremblant consiste à monter une partie d’un bijou sur un ressort en spirale invisible, qui lui offre le loisir de frémir délicatement à chaque mouvement. Le plus souvent, on recourt à la trembleuse pour des bijoux qui sont portés fermement maintenus, comme les diadèmes ou les broches. Il s’agît en fait de permettre aux pierres ou plumes qui les composent de remuer malgré leurs fixations. Ainsi, les pierres dégagent plus de vivacité et d’éclat, et les bijoux tout entiers rendent compte de scènes bien plus vivantes : cette technique sera donc surtout utilisée sur des bijoux à thèmes animaliers ou floraux. Dans le diadème de Bedford, les vibrations des quelques fleurs qui sont montées sur trembleuse révèlent une authenticité manifeste. Tour à tour, les Maisons Mellerio dits Meller, Boucheron et Bulgari la perfectionnent.
Au début du XIXème siècle, l’essor du métal platine contribue, lui aussi, au réalisme des pièces joaillières. Permettant aux montures d’être plus fines et plus souples, il est particulièrement apprécié pour composer des motifs ajourés. C’est le cas du Diadème aux œillets, une commande que Joseph Chaumet honore en 1905. Elle est passée par un riche industriel français pour son épouse, à l’occasion du mariage de leur fils. Le diadème est constellé de diamants, montés sur platine. Les joaillers ont choisi d’y utiliser un serti nommé « millegrain », qui consiste à sculpter de minuscules crans sur le pourtour d’une monture. De fait, la pièce entière est comme encadrée par un faisceau rayonnant, et dégage de la luminosité avec une grande subtilité. Dans le Diadème aux œillets, le serti millegrain permet aux bordures des douze fleurs de sembler être en relief et augmente leur effet denté. Quelques années plus tard, en 1920, un diadème représentant des feuilles de lauriers utilise ce serti pour conférer un peu de dynamisme à leur limbe (bordure) lisse. La phyllotaxie -disposition des feuilles sur la tige-, est également conforme à la réalité végétale. À nouveau, Chaumet y fait montre d’une grande ambition détailliste.
Par le biais des spécimens végétaux, Chaumet représente subrepticement des symboles puissants : l’amour pour la fleur d’œillet, l’immortalité et la victoire pour le laurier, la chance et la beauté pour le jasmin… Ceux-là ont été servis par le savoir-faire technique et l’adresse des joaillers de la Maison : métaux de monture, sertis, utilisations stratégiques de l’espace, stylisation des motifs ou encore illusions d’optique... En accompagnant la déjà longue histoire de la Maison Chaumet (qui fête ses 240 ans en 2020), les diadèmes à motifs floraux ont suivi chaque grande tendance stylistique qu’elle a traversée. Tout récemment, la Maison a rendu un double hommage à son répertoire, puisqu’elle a créé une collection entière en apposant la forme d’un diadème stylisé à toutes les typologies de bijoux. En plus de faire renaître le diadème, les bagues, bracelets et colliers de cette collection lui offrent une nouvelle forme d’expression, en lui permettant d’outrepasser sa seule condition de bijou de tête. D’ailleurs la collection a été baptisée du prénom de sa première muse, Joséphine.
Autrement. Exposition, Chaumet, 165 Boulevard Saint-Germain à Paris, du 1er octobre au 2 novembre 2019.
Beaux-Arts, (2017) « Splendeurs impériales à la Cité Interdite ». Issy-Les-Moulineaux, France, Beaux-Arts Éditions.
Connaissance des arts, hors-série (2018) « Les Mondes de Chaumet ». Paris, France, Éditions SFPA.
De Baecque, A., Neutres, J., Bauret, G., Mocafico, G., & Gottschalk, H. (2017). Chaumet est une fête ; dans l’oeil de Chaumet ; Le goût de l’art (Vol. Coffret 3 volumes). Paris, France, Édition Assouline.
Vachaudez, C., & Bern, S. (2019). Chaumet en majesté : Joyaux de souveraines depuis 1780. Monaco, Édition Flammarion.