Adèle Aribaud
Giardinettos
Très populaire depuis 1750, le giardinetto est un thème très propice à la création : réinterprété par chaque Maison et très apprécié des collectionneurs, le « panier de fleurs » ou jardin miniature a ainsi évolué au fil des styles, des modes et des saisons. Grands bouquets ou petites compositions délicates, zoom avant sur le plus incontournable des thèmes joailliers.
Convenons d’abord de l’immensité des propositions techniques offertes par le motif « jardin » qui se prête, il faut bien le dire, particulièrement bien à toutes formes de bijoux. Pendentifs, bagues, broches ou même encore châtelaines -l’ancêtre de la montre bracelet qu’on portait pendu à la taille- en sont décorés. Dès 1927 Van Cleef créé celle qui deviendra sa plus célèbre châtelaine, un pur produit de son époque. Elle combine avec une allure folle les lignes droites de la mouvance Art Déco, la dualité noir et blanc (onyx/diamants) et la tendance des pierres précieuses gravées, le tutti frutti. Il s’est d’ailleurs autorisé à insérer une fantaisie chromatique : ici les feuilles sont rouges et bleues et ce sont les fruits qui sont verts ! De surcroît, le panier qui passe pour un élément secondaire ne l’est en fait pas du tout. On doit à son fond courbe l’impression que les fleurs sont lourdes ; à son anse et sa structure, le mariage réussi des lignes Art Déco avec le chapiteau ionique qui le supporte.
À la même époque Cartier y va aussi de son giardinetto Art Déco. Celui-ci sera monochrome mais riche en nuances et surtout, d’une grande habileté esthétique. Composée en diamants, cristal de roche et pierre de lune, soit trois matériaux blancs ou sans couleur, la broche se distingue tout à fait grâce au jeu des transparences. En effet à la façon d’une dentelle, les parties vides et laissées pour compte prennent vie et deviennent un motif. Par leur absence, elles brillent. Et ajoutées aux gravures des pierres, à leurs tailles et à leurs différents mariages, elles offrent à la composition de sembler « chargée » et ce malgré sa relative pauvreté en fleurs -seulement trois- et la symétrie horizontale très ordonnée qui la dessine.
Quelques mots aussi, sur les vases et contenants. Si l’œil est naturellement attiré par les végétaux souvent colorés des giardinettos, leurs différents écrins ne sont pas en reste. Parmi leurs points forts, celui de s’autoriser une unité matérielle ou esthétique généralement éliminée de fait par une composition florale. Ainsi on observe des paniers, vases ou coupes en une seule pierre dure ou ornementale, d’une seule couleur donc. Elle sera choisie avec soin pour mettre en valeur les couleurs des fleurs ou s’effacer devant elles en bon sujet secondaire...
Les contentants peuvent également accréditer le réalisme des bouquets, comme avec cette broche de fabrication australienne dont le vase en cristal de roche transparent laisse entrevoir les tiges qui se croisent à l’intérieur. Ou encore cette boche Bulgari au gros bouquet multi-gemmes dont une grappe de raisins tente de s’échapper et dégringole sur une partie du vase. Le bouquet ainsi dépossédé de sa rondeur parfaite gagne en naturalisme et le bijou lui, gagne en volume grâce à la superposition de ses éléments.
Enfin dans les années 1950, les giardinettos ont évidemment suivi la tendance du tout or et beaucoup de pots de fleurs ont abandonné les pierres dures. Du vase juste poli ou du panier en osier tressé d’or avec finesse, les « basketflower » ont accompagné les petites fleurs de la résistance et un grand nombre de bouquets patriotes. Le travail de l’or permet en effet une grande liberté d'effets : ajouré, godronné, poli, martelé...
Aussi quand on marie un vase à un bouquet, il s’agît de créer une union équilibrée. C’est ce qu’illustre parfaitement une broche Harvey & Gore en or et multi-gemmes. Son vase rond est un cabochon d’opale qui crée une unité sans pour autant faire doublon avec les fleurs en perles et diamants du bouquet. L’opale est couverte par une rangée de diamants, un motif original pour une forme plutôt classique.
Parce qu’effectivement les vases à fleurs empruntent, pour un bon nombre, leurs formes aux coupes grecques destinées au service du vin. Très esthétiques, elles se métamorphosent à l’infini : anses plus ou moins longues, sur pied ou non… Notons que les giardinetto montés sur un haut piédestal sont rares du fait de leur manque de praticité à l’usage et du déséquilibre visuel qu’ils impliquent. Dans un autre genre, le contenant panier permet lui aussi quelques petits ajouts, comme celui du nœud en ruban par exemple, aussi répandu qu'apprécié.
Pour aller plus loin :
La broche Giardinetto saphirs et diamants de Bulgari, 1965. Vendue 43 000€ par Christies en 2019 à Paris.
La broche Giardinetto Cartier, issue de la collection Eric Nussbaum. Vendue 8 300€ en 2017 par Christie's.
Aras (Archive for Research in Archetypal symbolism). (2010). Le Livre des symboles. Réflexions sur des images archétypales. Cologne, Allemagne, Edition Taschen.
Département joaillerie pour Christie's (5/06/2017). One man’s ‘love affair’ with vintage Cartier. Consulté à l'adresse : https://www.christies.com/features/Eric-Nussbaum-collection-of-vintage-Cartier-8229-1.aspx
Neret, G. (1988). Boucheron, histoire d’une dynastie de joailliers. Fribourg, Suisse, Editions Pont Royal.
Phillips, C. (2008). Jewels and Jewellery. London, England, Édition Victoria & Albert Museum.
Possémé, E. (2012). Van Cleef & Arpels - L’art de la haute-joaillerie. Paris, France, Editions Les Arts Décoratifs.