Adèle Aribaud
Une histoire de diadèmes, l'exposition du Mad
Cet hiver le Musée des Arts Décoratifs de Paris consacre une exposition événement à la Maison Cartier. Des dizaines de pièces emblématiques s'offrent au aux visiteurs dans les vitrines, accompagnées ça et là d'objets typiques, échantillons de textiles, carnets de dessins et pages de croquis griffonnées, témoins touchants et bavards des différentes étapes d'un processus créatif parmi les plus sophistiqués de la haute-joaillerie. Entre plus de cinq cent autres objets précieux et prêts exceptionnels, un ensemble de diadèmes et bijoux de tête fait sensation : ils dévoilent quelques-uns de leurs derniers secrets dans un choeur de motifs, formes et couleurs perses, arabes et indiens. Tour d'horizon de ce qu'on y découvre :

"Le répertoire des formes"
Rares sont les pièces de joaillerie qui ont mis en forme le cristal de roche gravé sur des surfaces si étendues, et fines à la fois. En parfait spécialiste des illusions d’optique et des jeux de « remplissages », Cartier ici, excelle dans son art. Pour ce diadème, il grave quatre sections de cristal de roche grâce à des emprunts aux répertoires de motifs perses et arabes. Trois motifs structurés sur du platine et remplis de diamants, dont un en forme de poire majestueux au centre, les fractionnent. Il semble que les arabesques aient été directement inspirées des planches du livre d'Owen Jones "Grammaire de l'ornement". L'exposition même, nous présente ladite planche, "Arabian, no 2", pl 32. Le livre a été publié en 1865.

Si le diadème est célèbre, la photographie du collier à partir duquel il a été réalisé est plus discrète. Le collier a tout de même été immortalisé dans les archives de la Maison.
Et il est digne d'intérêt dans le cadre de l'exposition : le collier originel est composé de neuf diamants taillés en poire et de leur entourage de rubis. Ils sont enfilés simplement sur un rang de diamants. Cartier le vendit à Lady Mary, le lui racheta en 1914, puis il entama sa seconde vie : Cartier le démonte et confie à Picq sa transformation en diadème. Une différence majeure : le sens des diamants en poire. Présentée pointes vers le haut dans le collier, elles sont retournées et mises pointes vers le bas pour le diadème. La source d'inspiration du motif, des bouteilles iraniennes en bronze datant du IXe siècle, présentent des motifs de poire en saillie dans la matière : pour elles aussi, la goutte a la tête pointue vers le haut. Le collier originel serait donc presque plus proche des arts de l'islam que sa seconde version en tant que diadème d'acier.

À l’origine, c’est un cordon situé à l’arrière qui maintenait ces diadèmes en acier, dont il existe environ cinq modèles, tous également exécutés par Picq. Cette année-là, en 1914 donc, allait avoir lieu le couronnement de la Reine Marie de Roumanie et il semble que le diadème ait été commandé pour cette occasion par sa sœur, « Madame Marghiloman ». Il fait partie de la série kokochnik.
Les bijoux "orientaux" : nouvelle formes et innovations techniques

Autre pièce fameuse de Cartier, le diadème en citrines. Il a été conçu à l’occasion du couronnement du roi George VI, en 1937. C'est une pièce transformable : en effet le motif central avec la citrine de 62 carats se détache. Elle est décrite dans les registres comme « une grande broche pince en topazes sombres, diamants ronds et bâtons avec une grande topaze claire rectangulaire au centre (62,35 carats), pince à double griffe à l’arrière. En effet Cartier a beaucoup utilisé la topaze dans ses créations des années 1930, mais il était assez fréquent d’appeler « topaze » toutes les pierres jaunes, et ainsi de les confondre avec des citrines. L’anneau de 143 citrines donc, hausse en son centre une armature destinée à accueillir la broche-pince. Les deux griffes de la broche se glissent dans les bagues au revers de l’armature.
La broche-pince détachable à l’avant se porte donc seule, à condition d’avoir la tête en bas !

Dans l'exposition le diadème de citrines est présenté dans un espace consacré aux typologies de bijoux exotiques, particulièrement indiennes : des bazudbands (bracelets allongés fixés sur le haut du bras) et des bijoux de tête en majorité. Il semble que la souplesse des bijoux indiens, montés sur fils et non sur métaux (si souples soient-ils !), ait joué un important rôle dans les directions artistiques choisies par Cartier. Les fermoirs à pompons lancent une vague de bijoux "passementeries" dont le plus célèbre, daté de 1902, est également exposé dans cet espace. On y lit déjà la quête de souplesse à laquelle Cartier s'efforcera de répondre en innovant. De technique en technique, c'est finalement le platine qui sera le porte étendard de cette veine "flexibilité". Il est léger. Et solide : il permet de créer des bijoux dont les différentes parties sont assemblées et non plus fabriqués en un seul et même élément. Ainsi naissent les bijoux transformables : quitte à les concevoir en pièces détachées, autant qu'ils puissent être portés de façon autonomes. Les diadèmes par exemple, y gagneront une certaine adaptabilité. Et toute leur grâce.

Bosc, A., Coudert, T., Dalon, L., Petit, V., Rainero, P., Rousset-Perrier, M., & Salomé, L. (2013). Cartier : Le style et l’histoire. Paris, France, Éditions de la Réunion des musées nationaux.
Ecker, H., Henon-Raynaud, J., Possémé, É., & Schleuning, S. (2021). Cartier et les arts de l’islam. Aux sources de la modernité. UCAD. Vé, Italie. [Catalogue d'exposition, Musée des Arts Décoratifs, 21 octobre 2021 - 20 février 2022]. Paris, France.
Rudoe, J. (1997). Cartier, 1900 - 1939. Londres, England. Éditions Harry N. Abrams
Cartier et les arts de l’Islam. Aux sources de la modernité, Exposition au Musée des Arts Décoratifs, Paris, du 21 octobre au 20 février 2022