Damiers, carrés et dérivés
On l’a trouvé à Suse en Iran. Une des plus anciennes représentations d’un motif en damier décore vraisemblablement un accessoire de jeu. C’est une tablette d’albâtre peinte avec des cases rouges, bleues et blanches qui est datée d’environ 3200 ans avant J.C. Elle a sûrement ouvert la voie à tous les futurs damiers et à ses dérivés, ceux qui ont orné les ponchos péruviens et les bandeaux des momies d’Égypte, puis au 16ème siècle les costumes géométriques d’Arlequin, les patchworks au 19ème et bien entendu, les motifs Art Déco dans l’entre-deux guerres. À leur tour, les Arts joailliers se sont servi du damier, l’ont écorné, découpé, retourné pour finalement en faire un motif graphique par excellence, réinventable à l’infini.
Bien qu’il semble donc que la couleur originelle du jeu en damier n’associait pas forcément le noir au blanc, c’est la carte jouée par Cartier pour cette pendule à mystère de la collection Cartier Magicien. Six cent vingt-cinq diamants tailles brillants soulignent les points de croisement de l’onyx et de jade blanc, les pieds, le tour du cadran et les aiguilles. On ne manque pas de noter une certaine sobriété générale qui met en valeur le motif… et l’invisibilité du système ! Parce qu'effectivement Cartier présente ici une pendule dite « à mystère ». Son mécanisme est donc invisible et totalement dissimulé dans l'objet. Où est logé le mouvement ? Qu'est-ce qui actionne les aiguilles ? Cartier le sait. Depuis plus d'un siècle, la Maison a fabriqué des dizaines de ces pendules mystérieuses avec toute la minutie et le savoir-faire qu'elles imposent. Ici le damier d'onyx et de jade blanc créé en fait un jeu de reflets nécessaire au camouflage du système.
Chez Boivin le partenaire de jeu du damier n’est pas la lumière mais bien le vide. Dix pyramides d’agate claire laissent apparaître un jour -ou un vêtement si le bijou est porté- dans de petites bandes rectangulaires verticales. Le motif donc, autorise des possibilités illimitées pour celui qui le porte : chromatiques mais aussi de motif puisque le bijou n’est en fait pas un losange, mais deux clips triangulaires photographiés ici collés l’un à l’autre.
Retour au (presque) noir et blanc avec Cartier et leur plus célèbre invitée : la panthère. Si on reconnaît ses ocelles sur des dizaines de bijoux de la Maison, si la perspective y est maîtrisée avec tout le génie possible, Cartier a rarement confondu les deux avec tant de clarté ! Ici la panthère s’est parée d’un pelage en mosaïque d’agates. Le squelette flexible, les muscles souples, elle jette un regard derrière et nous montre : sa pupille de saphir, ses oreilles entourées de diamants, sa chaîne postérieure en plein mouvement et son museau que ponctuent de moins en moins de carrés noirs.
Parce qu’en effet ce sont eux qui modélisent tout l’animal. Le pavé noir, blanc et gris plus ou moins déformé par la perspective dessine sa mâchoire et ses reliefs, les bosses des omoplates et l’arrondi de sa colonne vertébrale. Enfin, des diamants en nuées glissent sur son corps pour terminer en majesté par un saphir briolette de plus de 35 carats.
Enfin chez Chanel, c'est le collier Bulles qui présente la plus intéressante relecture du motif des carrés. En 2014, la Maison réalise une superposition de deux formes -le rond et le carré- dans un collier noir et blanc en onyx et diamants. Monté sur or blanc, il est structuré par des cercles blancs qui accueillent des carrés noirs en aplats. D'un seul coup d'oeil, on constate l'esprit volontairement désorganisé du bijou. Et pourtant, il semble que nous ayons à faire à une illusion d'optique. Leur taille et leur orientation est effectivement rigoureusement symétrique d'un côté et de l'autre. Seul le cercle central de taille plus importante fait exception en ne jouant pas le jeu du miroir. Mais ce n’est pas tout. Le format des cercles de diamant est, lui aussi, parfaitement symétrique à gauche et à droite. Ainsi c'est le mariage de ces deux motifs qui redéfinit l'image du bijou... Et peut-être aussi le contraste entre les deux couleurs, qui, on le sait, ont été les plus chères au coeur de Gabrielle Chanel, préférées par elle parmi toutes les autres.
Mecquenem, R. (Jan 2020). Fouilles de Suse 1929-1933. Consulté à l'adresse : https://www.mom.fr/image_carto/ServiceImage/mecquenem/articles/Memoires_mission_archeologique_Perse_1934_25__pp177-237.pdf
Plaisirs Textiles. (Jan 2020). Le motif en damier et ses dérivés dans quelques textiles. Consulté à l'adresse : http://www.plaisirstextiles.com/pages/l-uvre-du-mois/le-motif-en-damier-et-ses-derives-dans-quelques-textiles.html