Adèle Aribaud
Cols ou colliers ?
Dès la plus Haute Antiquité, les parures se portent sur le thorax, une partie du corps très propice aux ornements : large, plate, proche du visage, visible de loin et qui n’entrave pas le mouvement. En évoluant, le costume et les vêtements ont naturellement investi cet espace-là, en remontant petit à petit vers le cou. Le port du col se codifie, jusqu’à ce que son apparence devienne un signe. Plus qu’un élément décoratif, il devient stratégique : au XVIème siècle, sa taille est un indicateur de rang social (collerette ou fraise). Le col peut aussi être un signe politique (col mao au XXème siècle), religieux (col romain clérical chrétien), d’appartenance professionnelle (rabat blanc des avocats) ou un simple élément de style, aussi bien masculin que féminin.
Inévitablement assimilé au collier par son étymologie, son emplacement et son caractère amovible et ornemental, le col a logiquement été réinterprété dans des pièces joaillières placées à la lisière de deux champs artistiques : la couture et la joaillerie.
Le collier col questionne le statut de l’objet : est-ce un bijou ? Peut-on le considérer comme une partie d’un vêtement, même s’il est amovible ? La question est vaste, mais les archives de Maisons d’enchères, disponibles en ligne, y répondent elles-mêmes. Sur le marché de l’art en effet, les pièces joaillières en forme de col sont toujours vendues dans des ventes « bijouterie-joaillerie » et non dans les ventes « accessoires de mode ». Cela peut s'expliquer parce que leurs fabricants sont des Maisons joaillières, ou encore parce que leurs matériaux l'induisent. Du surcroit, certains colliers cols sont mis en vente avec le reste de la parure, souvent des boucles d’oreilles : pas question de dissocier l’ensemble ! Le lot n’en a que plus de valeur.
Beaucoup de couturiers ont travaillé les cols jusqu’à en faire des signatures stylistiques. Citons par exemple, les cols Claudine de Chanel, ronds de Jean Paul Gaultier, à jabot d’Yves Saint Laurent, ou encore les hauts cols de Karl Lagerfeld. Dans leur travail en général (est-ce un hasard ?) l’androgynie a souvent occupé une place majeure. Ceux-là ont bousculé les codes masculins/féminin de nombreuses fois : le style « garçonne » de Chanel, le smoking de Saint Laurent, les jupes masculines et marinières unisexes de Jean Paul Gaultier, la chemise blanche mixte de Karl Lagerfeld. Grâce à leurs travaux sur les encolures, éléments très sexués de vêtement, les frontières esthétiques des genres se sont brouillées, et parfois inversées. En exploitant l’élément col, les joaillers explorent ces mêmes enjeux d’androgynie. Pourtant, les femmes étant les destinataires de ces colliers, on remarque que le col le plus « imité » en joaillerie est typiquement féminin, le col Claudine.
En reprenant la forme du col haut que Karl Lagerfeld a érigé au rang d’emblème en le portant lui-même, le couturier a conçu en 2012, une pièce (photo 2) dont l’ambition est "d’allier le masculin et le féminin, la bijouterie et la couture". Pari réussi donc, avec cette création unique -à 36 000€- ornée de plus de mille diamants noirs pour 40 carats, d’une émeraude de 22,33 carats et dont le matériau principal est… le daim. Un an plus tard, c’est dans une collection de bijoux fantaisie signée Louis Vuitton qu’on retrouve des cols. Matériaux et coloris sont variés : cols dorés, argentés, ajourés ou cloutés. Aucun collier col n’est articulé. C’est sûrement la plus importante différence avec des colliers standards, dont la souplesse permet soit, de faire briller les métaux et les pierres le cas échéant, soit au moins, de ne pas contraindre les mouvements.
Chez Van Cleef & Arpels, le bijoux col est très féminin. Citons le modèle Cheveux d’ange (1958), un collier col Claudine d’or finement travaillé (photo 3), et dont la découpe centrale des deux pans est assurée par un S de diamants en diagonale. Il a été vendu 42 000€ chez Sotheby’s en 2008, et 37 000€ en 2018 chez Christie’s à New-York.
Citons aussi le lot 93 de la prochaine vente Fine Jewels chez Sotheby's à Londres (le 24 mars 2020). Il s’agît d’un collier, également signé Van Cleef & Arpels, et décrit de la façon suivante : Designed as a hinged shirt collar composed of mesh, the front with a clasp and floral motifs set with brilliant-cut diamonds (Conçu comme un col de chemise articulé composé en maille, avec au-devant, un fermoir et des motifs floraux sertis de diamants taille brillant). Il est estimé entre 7 650€ et 9 750€.
Autre pièce maîtresse et non des moindres, un collier plastron signé Tiffany (2016) (photo 1), en platine, et dont les 3 000 diamants s’étalent jusqu’au épaules. Un an plus tard, le joailler américain réalise pour la collection Whispers of the rainforest (photo 4), un collier à franges d’or (plus de 350) et de 250 diamants à l'allure sauvage. Enfin, citons la pièce maîtresse de la toute dernière collection de haute joaillerie Louis Vuitton, Riders of the Knights, un collier nommé Le Royaume, dont la forme montante rappelle à la fois le gorget de l’armure (pièce protégeant le cou) et le collier carcan.
Gay, V. (1974). Glossaire archeologique du Moyen Age et de la Renaissance. Nendeln, Lichtenstein, Editions Picard.
Junker, C. pour Property of a lady. (21 mars 2020). Suzanne Belperron et Aimée de Heeren : une amitié, un collier, une redécouverte. Consulté à l’adresse : http://propertyofalady.fr/2020/03/21/suzanne-belperron-and-aimee-de-heeren-a-friendship-a-necklace-a-rediscovery/
Leloir, M. (1951). Dictionnaire du costume et de ses accessoires des armes et des étoffes des origines à nos jours. Paris, France, Editions Gründ.
Lidbury, O. Pour Fashion Telegraph (20 juin 2012). Karl Lagerfeld’s £29,000 collar. Consulté à l'adresse : http://fashion.telegraph.co.uk/news-features/TMG9343680/Snap-it-up-now-Karl-Lagerfelds-29000-collar.html
Poyet, E. (1989). Autour du fil : l’encyclopédie des arts textiles. 6. Paris, France, Editions Fogtdal.