Adèle Aribaud
Chefs d’œuvres de la collection Albion, Partie II : la période Art Nouveau
La collection Albion comprend plus de huit cents bijoux de la période Antique à l’Art Déco. Elle représente, préserve et met en valeur le patrimoine joaillier mondial. L’actuel propriétaire de l’Institut Albion est le collectionneur japonais Kazumi Arikawa, haute personnalité du négoce de bijoux historiques qui achète et vend depuis plus de quarante ans. Ainsi sa collection évolue au fil du temps. Kazumi Arikawav possède en outre, la plus grande collection de livres dédiés aux bijoux et à la joaillerie du monde.
Pendentif : Art Nouveau, vraiment ?
Quelles teintes étonnantes que celles de ce pendentif « néo-renaissance ». A une époque où la nature est la source d’inspiration majeure, la flore plus précisément, c’est la couleur verte qui se taille habituellement la part du lion dans les bijoux Art Nouveau. Ici des harmonies de violet, lilas, bleu doux, lavande encadrent un saphir violet dont l’heureuse qualité de la photo nous permet de distinguer les inclusions… et tous les autres détails. Dragons criants, paire d’ailes, queue à écailles, rinceaux, chapiteau ionique, masque grotesque. Voilà tout ce qu’on trouve sur ce pendentif daté de… 1885. Pour les plus attentifs, c’est bien vu : en 1885 nous sommes en effet dix ans avant l’éclosion « officielle » de l’Art Nouveau qu’on situe généralement à partir de 1895. À cette époque l’Art Nouveau et La Belle Époque ne sont pas encore installées et l’éclectisme du Second Empire perdure encore : il n’est donc pas rare de croiser des bijoux néo Renaissance avec montures en or émaillé, des camées, des bijoux égyptiens et des nœuds, bref un mélange des genres. Pour autant l’émaillage et le thème des créatures fantastiques et des dragons de ce pendentif s’intègre pleinement dans ce qui sera l’Art Nouveau, un courant qui les adoptera plus que n’importe quel autre.
Broche/Pendentif Pensée : femme / flore
Les visages, les femmes et leurs chevelures ont été prétexte à tous les motifs poétiques possibles pour les bijoux du début du siècle. Ici un visage féminin émerge à peine d’un aplat d’émail bleu/vert, les yeux fermés. La délicatesse de son relief pourrait rappeler la « Vierge Voilée » de Giovanni Strazza, la célèbre sculpture religieuse modélisant un personnage féminin taillée dans un bloc de marbre. Elle est recouverte d’un voile hyperfin qui laisse voir les expressions de son visage. Une oeuvre unique... C’est grâce à la technique du plique-à-jour (un émail translucide) que Lalique parvient ici à produire une sensation quasi mystique : le visage semble irradier une lumière qui se dissipe dans une végétation dense mais pourtant parfaitement imprécise. Entouré de feuillages et surmonté d’une pensée -qui lui donne d’ailleurs son nom-, la broche est un pur concentré d’Art Nouveau.
Broche / ornement de tête Dragon de mer
Autre grand joaillier de l’Art Nouveau : George Fouquet ! Il est principalement connu pour s’être fait une spécialité de la représentation des thèmes maritimes : algues, poissons…et dragons de mer. A mi-chemin entre le serpent, le dragon et la murène, celui-ci est une pure merveille. Rares sont les bijoux qui font montre d’autant de subtilité et d’un tel degré de précision dans le détail de la couleur d’une part, mais du motif également. Bien sûr, c’est à l’émail qu’on doit la chose. Des arabesques et des contours bleu azur nuancés filent les contours de son corps. Des dizaines d’écailles allant du turquoise foncé au vert et au mordoré le recouvrent. Et c’est ainsi que cette chère créature nous invite à admirer la proie qu’elle a happé entre ses crocs d’or jaune : une magnifique aigue-marine verte triangulaire facettée. L’aigue-marine sera la pierre préférée de George Fouquet, utilisée par lui dans un nombre important de ses créations. À croire qu’en 1900 déjà, il maîtrise parfaitement toute la gamme des potentiels mariages esthétiques de la pierre… George Fouquet sera d’ailleurs surnommé « le Père de l’Aigue-marine ».
Le collier : en verre, vous dites ?
Que serait l’Art Nouveau sans l’utilisation de matériaux non précieux ? Commune à tous les grands maîtres de la période, la volonté de mettre de côté la valeur intrinsèque des matériaux pour leur préférer leur potentiel esthétique a été une des principales caractéristiques de ce mouvement. Ne nous y trompons pas : René Lalique a énormément développé l’utilisation du verre mais elle est loin d’être une nouveauté. Le verre est utilisé pour la bijouterie depuis toujours. En 1922, la découverte du tombeau de Toutankhamon met au jour des bijoux égyptiens uniques dont les nombreuses « pierreries » n’en sont effectivement pas toujours. Les lapis-lazuli et autres cornalines sont souvent épaulés de pate de verre. Idem chez les romains qui utilisent le verre pour façonner des petites perles tubulaires ou sphériques à motifs abstraits. Ce qui est nouveau avec Lalique par contre, c’est la précision avec laquelle le verre est travaillé, le soin qu’on apporte à sa couleur, sa texture, son motif et la façon dont il est mis sur le devant de la scène. Dans ce collier, treize bourgeons de verre à motifs d’épines enjambent treize feuilles d’émail stylisées. Les bourgeons agissent comme treize pendentifs, treize points d’orgue pour une seule création, en somme.
Combis, H. pour France Culture. (Sept 2018). "La "Vierge voilée" de Strazza : un marbre transparent qui fascine". Consulté à l'adresse : https://www.franceculture.fr/sculpture/la-vierge-voilee-de-strazza-un-marbre-transparent-qui-fascine
Merle, S. pour TFJP (Fev 2020). "Les bijoux de la Renaissance". Consulté à l'adresse : https://www.thefrenchjewelrypost.com/style/bijoux-renaissance/
Riondet, G. (mai 2021). "Bijoux Anciens 1800–1950, Découvrir identifier et apprécier". France, Paris, Editions Flammarion.
Scarisbrick, D. pour Albion Art. Consulté à l'adresse : https://www.albionart.com/period/art-deco/