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  • Photo du rédacteurAdèle Aribaud

Canailles boursouflures


Ce terme ne renvoie pas à une image ragoutante, c’est vrai. C'est bien lui pourtant, qui décrit le mieux les effets bombés dont on veut parler. Des surfaces enflées et autres masses arrondies avec plus ou moins de discipline et que l'art du bijou n'a pas toujours su mettre en valeur.


Pourquoi le faire, d'ailleurs ? Parce que l'occasion nous est offerte par la nature. A fortiori par le monde minéral. Cette sorte de gonflement boursouflé y est déjà présente, alors on se rapproche, à pas de velours c'est certain, du monde du bijou et de la création. Comme cette shattuckite aux contours un peu flottants, des pierres courantes comme la calcédoine et l'hématite ont un habitus dit botryoïdal. Cela signifie qu'ils évoluent en globules comme des grappes de raisins. Exit les prismes acérés, place à la rondeur.



Malgré le nom barbare dont il est affublé, concédons que ce minéral et les dizaines de petits globules qui le constituent n'inspirent rien d'autre que l'envie d'y poser la main. Sous cette forme il n'est pas franchement répandu mais qu'importe. Il inspire. La malachite, plus facile à identifier grâce à son vert caractéristique et à ses zones concentriques, a également cristallisé sur ce spécimen (en haut et à gauche). C'est vrai que la malachite aussi, existe dans sa version "raisin de table". Et si l'idée nous prenait de chercher ses zones à la loupe, on n'aurait qu'à trancher dans un des nodules de cette coquette pierre pour tomber dessus.


Gonflements & mouvements

Naturellement il nous vient à penser aux travaux de Suzanne Belperron. En mercenaire de la volute et papesse du bijou sculptural, c'est elle qui a offert le plus grand nombre de grappes au monde joaillier. Dans les années 1930, alors que le crétateur Jean Fouquet annonce la couleur pour les années à venir : "Le bijou doit être quelque chose qui se voit de loin : les miniatures sont détestables", Suzanne Belperron a déjà quitté Boivin chez qui elle a largement fait ses armes. Elle part "composer des bijoux sous la forme la plus moderne" en son nom propre, préviennent les publicités.


Et le modernisme selon Belperron, c'est du tridimensionnel, sans conteste. Ses pièces s'enorgueillissent toutes d'une rondeur notoire qu'elle a le génie de parvenir à coupler parfois avec des impressions de gonflements et de croissance. Le clip de revers en agate le démontre avec simplicité. Les grains et leurs auréoles de diamants ont l'air de chercher à s'émanciper vers des directions divergentes. C'est une quête de lumière finalement classique pour un végétal que seul le soleil peut faire murir... Et peut-être aussi une quête d'espace. En témoigne leur proximité un peu abusive qu'on prend le droit de ne pas leur jalouser. Néanmoins, voilà ce qu'une maîtrise de volume(s) sur un bijou figé parvient à représenter. Une métamorphose.


Les effets de matière

Le clip Belperron est en plus et on le remarque, exécuté avec un matériau sans irrégularités de surface. L'appel du coude est donc fait aux perles baroques. Dans le monde du bijou elles sont les stars des gonflements libertaires et aventureux, et il serait impossible de conter la goût de la Renaissance sans parler d'elles. Pillées aux aztèques par les conquistadores, elles sont acheminées en Europe par bateaux entiers. On les brode directement sur les vêtements. Et certaines autres dont les irrégularités se prêtent moins à l'art de l'habit qu'aux périgrinations créatives des orfèvres, celles-là ont un autre destin. Les perles baroques prêtent leurs bosselures à tout ce que le monde compte d'objets cotonneux.


En tête de cortège des chefs d'oeuvre Renaissance que les perles baroques ont enrichi et pour ne citer qu'eux, la couverture douillette d'un nourrisson, le ventre duveteux d'un cygne et la mousseline de la robe d'une madone. Le berceau en filigrane par exemple, est un cadeau -un présage- offert à Anna Maria Luisa de Médicis (1667 - 1743) par son époux. Les traits du nouveau-né sont sculptés dans une petite perle aplatie. Sa couverture capitonnée laisse deviner la présence de son petit corps en-dessous. Et elle est même davantage gonflée au niveau de son buste qu'à ses extrémités.


Spécialiste de l'art de la Renaissance, l'antiquaire Alexis Kugel confirme que c'est en "observant leurs irrégularités" que les orfèvres "imaginaient le bijou qu'ils créeraient autour". Face à leurs perles baroques, les orfèvres partent donc en quête de formes familières, d'un visage, d'un animal... Ces recherches "paréidolitiques", - le nom scientifique de ces illusions d'optique- n'ont pour limite que l'imaginaire plus ou moins prolifique de l'orfèvre. Et forcément, il arrive de temps en temps qu'une perle ait une forme incomplète. Qu'importe, le métal peut combler le manque de matière. Un pendentif salamandre peut donc avoir un abdomen bi-matière, mi-perle, mi-or. Pour ceux-là, le mystère reste entier : était-ce volontaire ? Personne ne sait. Mais on apprécie d'autant plus les bijoux auxquels l'adjonction de métal n'est pas nécessaire.

Les illusions d'optique

Elles sont la cerise sur le gâteau du bijou, le détail qui fait que. Qui fait que, par exemple, un petit amas de coquillages peut avoir l'air vivant. Peut même avoir l'air grouillant. C'est vrai que cette broche de Jean Vendome ressemble à un échantillon de bord de mer. À ceci près que les petites perles dorées ne sont pas tombées "au fond" du bijou comme les minuscules coquillages tombent au fond de nos bocaux à trésors de plage. Mais elles sont ça et là au-dessus, sujettes aux assauts des vagues qui les malmènent puis les stoppent dans des recoins hospitaliers. Mieux qu'un souvenir heureux, Vendome propose carrément de porter un bout de rivage.



Impossible désormais de faire l'impasse sur le motif déterminant de la broche, l'autre détail capital -le cumul n'est jamais interdit- la spirale. Illusion d'optique élémentaire parmi les élémentaires, d'autant plus utile pour simuler un gonflement. Voilà que dans toute cette agitation, nos escargots ont l'air de bulbes en pleine éclosion. Poussés vers l'extérieur, ils croissent.


On pourrait citer aussi la structure apparente des atomes, les morceaux d'or alluvionnaires, les minéraux à habitus mamillaires... Le sujet est sans fin. Précisément entre autre, parce qu'avant d'être entre les mains des orfèvres, ils sont créés seuls, dans la nature.




Pour aller plus loin :


Les visages gonflés d'Ugo Rondinone


La ballerine en perle faisant un jeté, de Rowlandsons


Les parures "Atoma" de Marina B.


"Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l'épée, et la plus riche et la plus belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre !" Les Essais, Michel de Montaigne, 1580.

 

Ouvrage collectif : MNHN et Van Cleef & Arpels. Pierres précieuses. (French Edition). Paris, France, Éditions Flammarion.


Groppo, P. pour Vogue (mai 2012). Evénement : les bijoux de Suzanne Belperron aux enchères chez Sotheby's. Consulté à l'adresse : https://www.vogue.fr/joaillerie/le-bijou-du-jour/diaporama/evnement-les-bijoux-de-suzanne-belperron-aux-enchres-chez-sothebys/8984


Juncker, C. pour Property of a lady (janvier 2017). Suzanne Belperron et la technique de l'or vierge. Consulté à l'adresse : https://propertyofalady.fr/2017/01/25/suzanne-belperron-la-technique-de-lor-vierge/3/


Juncker, C. pour Property of a lady (décembre 2018). Suzanne Belperron, histoire d'une consécration. Entretien avec Olivier Baroin. Consulté à l'adresse : https://propertyofalady.fr/2018/12/23/https-propertyofalady-fr-2018-12-23-suzanne-belperron-histoire-dune-consecration/


Kugel, J. (2000). Joyeux Renaissance, une splendeur retrouvée. [Catalogue d'exposition, Galerie Kugel Paris, septembre – octobre 2000]. Florence, Italie.


Monmorin de, G. pour Les Echos (mai 2020). Le retour des bijoux XXL. Consulté à l'adresse : https://www.lesechos.fr/weekend/mode-beaute/le-retour-des-bijoux-xxl-1217428


Venet, D., & Gabet, O. (2018). Bijoux d’artistes, de Calder à Koons : La collection idéale de Diane Venet. [Catalogue d'exposition, Musée des Arts Décoratifs, 7 mars – 8 juillet 2018]. Paris, France. Éditions Flammarion.


Fondation Dina Vierny – Musée Maillol. (2010). Trésor des Médicis. [Catalogue d'exposition, Musée Maillol, 29 septembre 2010 – 31 janvier 2011]. Graphart, Italie. Éditions Flammarion.


Galerie delli Uffizi. Culla con bambino. Consulté à l'adresse : https://www.uffizi.it/en/artworks/cradle-with-child

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